Chapitre 7 Auto-Analyse
Je suis content de voir ce patient. Il patauge, tâtonne mais essaye de progresser. Il prend plutôt bien des situations difficiles à supporter. J'apprécie sa volonté de s'améliorer. Je commence :
- la dernière fois je vous ai laisser lire un long texte. Aujourd’hui nous travaillerons sur vous.
- Justement Docteur je suis tombé sur un ancien texte dont j'ai pensé qu'il vous intéresserait. Voici comment je me décrivais alors que j'essayais d'écrire un livre il y a cinq ou six ans. J’ai souvent ce type de hasard ce qui me fait me considérer comme chanceux.
- lisez le ce hasard heureux mais ensuite vous me parlerez de votre famille.
Mon patient allonge les chambre tousse légèrement et se met à lire.
« Je m’appelle Paul, je suis un handicapé de la vie. J’ai essayé beaucoup de techniques pour progresser, corriger mes faiblesses, mieux diffuser du bonheur et vivre des moments heureux. Je ne mets pas en œuvre ces techniques, ou du moins je ne le fais que partiellement car j’ai une fâcheuse tendance à la dispersion. Je me considère comme un champion de la procrastination dispersive. C'est-à-dire que quand je suis seul je remets à plus tard les choses importantes que je devrais faire ou que je suis en train de traiter pour m'occuper de choses secondaires. Il suffit que mes yeux se posent sur un objet qui a besoin d'être réparé où qui m’intrigue pour que je perde le fil de mes pensées. Ainsi alors que je suis en train d'écrire ce texte très important car il pourrait m'apporter une paix de l'esprit, mes yeux se sont posés sur un petit camion cassé, je me suis arrêté et je l’ai recollé. En compagnie lors d'une discussion le moindre petit élément me fait partir dans une digression alimentée par mes souvenirs car ma grande curiosité m’a fait accumuler un très grand nombre de connaissances. J’ai alors une anecdote qui va dans le sens de l'approbation de ce qui vient d’être dit. Cette attitude ne plaît pas à tous ou plutôt elle plaît rarement. J’ai ainsi développé la réputation d'être un grand bavard. Il est même arrivé que des personnes m’évitent, d’autres me faisaient signe d’arrêter de parler. Un moindre mal est que j'ai toujours en tête le sujet initial en arrière-plan et que je sais y revenir. Hélas beaucoup de mes interlocuteurs se lassent avant. Quand une personne en face de moi comprend que mon intervention est une approbation de ses propos et que je la fais pour la pousser à aller plus loin, à développer, il s'établit alors un dialogue ping-pong extrêmement riche. Ce que je viens d'écrire me fait comprendre que ce travers explique une partie de mes difficultés relationnelles. Dans le monde du travail je me suis presque toujours interrompu pour aider un collègue, répondre à une sollicitation sur un sujets mineur. Évidemment le travail délaissé devait quand même être fait donc je restais tard le soir même parfois je le faisais le week-end. Ce mot week-end me rappelle que alors que je devais faire le lundi une présentation importante à l'ensemble des dirigeants du groupe pour lequel je travaillais, j'avais passé ma semaine à aider des collègues. J'ai dû employer mon samedi et mon dimanche à préparer cette présentation. Cette anecdote ouvre la porte à une foule de pensées. Je vais en énumérer quelques-unes mais sans ouvrir les portes que chacune d’entre elles ouvre. Puis je reviendrais au sujet initialement prévu. Je ne sais pas dire non. Je travaille mieux sous pression. Quand pressé par l'urgence, j'arrive à me concentrer je néglige tout mon environnement. Ma famille n’a pas dû apprécier ce week-end-là. Je peux parfois travailler très vite, j'avais préparé une présentation de plus de 100 pages en deux jours.
Je souhaitais faire une courte présentation de ma personnalité pour rendre mon récit plus clair. Au lieu des plus de 500 mots ci-dessus j'aurais pu simplement écrire je suis un handicapé de la vie parce que je suis à HPI, haut potentiel intellectuel, avec tous les défauts de ce type de personnalité. Je maîtrise mal les émotions. Je vois du compliqué dans les choses simples. Mes raisonnements sont difficilement compréhensibles car trop originaux. Je suis plein de contradictions, dur au travail et fainéant, confiant dans mes capacités et doutant, courageux voir téméraire pour affronter des puissants, lâche en cas de risque de blesser l’interlocuteur ».
- votre deuxième paragraphe aurait pu suffire. Dans le premier vous donnez pléthore de détails. La plupart des gens considère comme des justifications ce que vous pensez être des explications. Vous abordez assez lucidement beaucoup de points sur lesquels vous aurez à travailler. Pensez-vous que vous soyez très différents aujourd'hui ?
- Pas vraiment, tous mes déboires m'ont fait souffrir mais pas au point de me transformer. Je suis peut-être un peu plus attentif. J'essaye de prendre plus de recul. Je regarde plus l'impact des événements sur ma personne. Bref je pense plus à moi. Je finirai par m'occuper de moi en priorité au lieu de me faire passer après tout le monde. Je vais revenir à mon projet initial : me débarrasser de toutes ces bêtises qui ne méritent pas d'encombrer ma mémoire.
- Bon courage pour ce ménage qui vous aidera, de mon côté je réfléchis à d'autres moyens pour vous faire sentir mieux. En attendant notre prochaine séance continuer à réorganiser vos écrits. Parlez-moi maintenant de votre famille !
- Docteur je préférerais d’abord finir avec Raoul pour ne plus penser à lui.
- D’accord mais vous rédigerez les relations dans votre famille pour la prochaine fois. Cela vous forcera à bien réfléchir. Quand vous lisez vous ne vous dispersez pas, allez-y :
- Voici mon autre texte à propos de Raoul : «Quand notre mère a dû laisser son logement, j’ai récupéré ses documents administratifs. Le cancer de Raoul ayant atteint un stade inquiétant, j’ai contacté ses frères. Autour d'un café dans l’appartement de ma mère son frère qui vit dans le Jura a été loquace. Raoul était un artisan plombier, pas très courageux ni très organisé. Ses affaires tournaient mal et il était obligé de faire appel à la générosité de son beau-père pour faire vivre sa femme et ses 2 enfants. Les fournisseurs, non payés, devenaient très pressants, les clients menaçants et le beau-père s’est fatigué de faire vivre la famille de sa fille. Raoul a décidé d’agir, il s'est enfui et s’est réfugié en Ardèche très loin de sa Picardie natale. Il n’a pas informé son frère du Jura qui avait eu la très désagréable surprise de voir arriver les gendarmes sur son lieu de travail car Raoul était recherché pour ses dettes. Peu après son arrivée, il est allé dans une église rencontrer un prêtre, il a très bien su plaider sa cause le prêtre lui a trouvé parmi ces paroissiens une famille généreuse pour l'accueillir. Ensuite les services sociaux l'ont aidé à trouver du travail. Il a été embauché par la commune. Son frère était intrigué par le fait qu’il ne le reçoive jamais chez lui. Il lui donnait rendez-vous dans un parc ou un bar lors de ses visites qu’il s’arrangeait toujours pour qu’elle soit courtes. J’ai appris d’autres choses par des personnes qui l’ont connu avant qu’il ne s’installe chez notre mère. Il déménageait lorsque les personnes qui l’hébergeaient commençaient à se lasser de ce squatter. Car il ne se gênait pas allant même jusqu’à se faire prêter leurs véhicules. Jovial, toujours prêt à boire un coup, il s'est fait de bons copains parmi le personnel communal. Un de ses collègue a fait appel à lui pour réparer un lavabo cassé chez une locataire de sa mère. Elle s’était assise sur le lavabo avec son compagnon pour essayer une position qui ne figure pas dans le Kamasutra. La veille dame a demandé à son fils s’il connaissait un plombier. C’est comme cela que Raoul a mis les pieds dans cette maison trois étages assez vétuste dont la propriétaire occupait le premier, le rez-de-chaussée était loué et le deuxième pratiquement à l’abandon. Raoul s’est présenté comme un bon bricoleur capable de réparer beaucoup de choses dans la maison voire de la faire ressembler à un château. Il a proposé de s’installer au deuxième étage pour être sur place vu l’ampleur des travaux. La veille dame a accepté. Ses prestations ont été très limitées, il a seulement changé les serrures de l’appartement du deuxième étage et a installé une boîte aux lettres à son nom devant la maison. Le fils manipulé par Raoul a laissé faire. C’est avec la promesse de l’utilisation du jardin de cette maison dont il prétendait être le propriétaire qu’il a renforcé sa position auprès notre mère qui regrettait de ne plus pouvoir cultiver des fleurs. La maison donne directement sur le trottoir et son arrière est une cour bétonnée ».
– Pour rester la chronologie, je vous parlerai plus tard de ce que j’ai vu moi-même.
– Vous êtes resté sur le sujet sans partir dans d’autres domaines. C’est bien. Qu’est-ce que cela vous apporte ?
– Même s’il reste des détails, Raoul n’a plus d’importance pour moi.
- L’écrit vous apporte une libération. Vous en voulez toujours à Raoul ?
- non c’est un pauvre homme, pauvre au sens limité intellectuellement. Narcissique, il n’était pas au niveau au qu’il aurait aimé être alors il s’est inventé une vie plus facile à supporter. Il croyait à ce qu’il racontait, il était donc convainquant. Je ne suis pas certain que cela le rendait heureux. Tricher tout le temps ne doit apporter que de maigres satisfactions.
- Il est l’heure de terminer. Vu le bien que cela vous fait je pense qu’il vaut mieux que je vous laisse d’abord tout déballer avant de rentrer dans les origines de vos troubles à vous et votre sœur. Tous les HPI ne sont pas vous, méditez aussi là-dessus !
Paul me remercie, prends mon carton avec l’heure du rendez-vous de la semaine suivante et part.