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Chapitre 4 La première note Le premier constat

Je vais chercher mon patient dans la salle d'attente avec un bon retard. Il a l’air triste. J’aborde directement le sujet :

-    Entrez et expliquer moi ce qui ne va pas.

-    Mes notes sont désagréables à relire et longues à mettre en vrai français pour les rendre compréhensibles. J’ai dû mettre des informations apprises bien après pour rendre mon texte clair. Il me parait utile de vous préciser ma position dans la famille. Je suis le second, le seul garçon de la famille, pour notre père la continuité du nom était importante et dans les années soixante les garçons devaient être durs, ne pas montrer leurs sentiments alors que les filles, étaient vue comme personnes douces qui pouvaient extérioriser leurs émotions. Notre mère me confiait ses soucis et la garde de mes deux petites sœurs lorsqu’ils sortaient le soir. J’emmenais ma sœur, Cara, plus jeune de deux ans, à l'école alors que je n’avais que six ans. Bref cela m’a doté d’une personnalité particulière ce que j’ai commencé à comprendre seulement à presque 50 ans. Bien après la période où je venais vous voir. Les tristes événements que j’ai écrits ont complété ma façon de me voir.

- Lisez-moi votre premier texte et nous allons nous intéresser à ce que cela révèle de vous puis nous reviendrons sur votre enfance.

Paul déplie ses deux feuilles de papiers, je m’inquiète un peu sur la longueur alors je lui demande de lire sans faire de digression. Il commence :

- Le 19 août 2002, notre mère a été amenée par son compagnon Raoul à une fête de famille à notre domicile. Nous célébrions la naissance du premier enfant de notre fille Justine.  Ayant fait en 1999 sa thèse de médecine sur la maladie d’Alzheimer elle me faisait part de ses doutes sur la santé ma mère. J’adore prendre des photos ce qui me permet de dater des événements. La mémoire n’est pas toujours fiable.

En 2005 les craintes de Justine étaient confirmées pour elle. J’avais alors un peu de mal à accepter le déclin de ma mère.  Néanmoins j’ai accepté qu’elle organise un séjour dans un centre d'évaluation gériatrique qui a eu lieu du 23 au 27 novembre 2005. Notre mère devait rester 5 jours sans influence de la famille. Morgane, ma sœur ainée qui m'avait pourtant dit qu'elle avait vu dans un document du médecin traitant de notre mère le mot Alzheimer n'a pas accepté cette évaluation, elle est allée tous les jours pour voir comment cela se passait et même intervenir pour leur dire qu'il y a des choses qu'il ne fallait pas faire faire à notre mère comme la faire marcher pieds nus. Morgane croyait que sans talons notre mère basculait en arrière. Elle considérait que c’était faire du mal à sa mère de la faire marcher pieds nus. Alors que pour les soignants c’était un moyen de vérifier son équilibre. A l’issue du séjour le bilan était un Alzheimer avéré. Notre mère aura de plus en plus besoin d'une assistance pour vaincre sa réticence à se laisser aider. Il nous a été conseillé de commencer par une aide au ménage. Morgane a déclaré à l’assistante sociale de l’unité d’évaluation que notre mère n’avait besoin de rien que notre mère se débrouillait et qu’elle-même pouvait l’assister. Nous nous sommes quand même concertés Morgane, Cara et moi. Nous avons décidé de mettre en place une aide au ménage, pour habituer notre mère aux interventions extérieures. Cara devait faire cette démarche car elle travaillait dans les services sociaux du département. Le docteur a fait trois ordonnances dont une pour des séances de stimulation de la mémoire dont Morgane devait s’occuper. Elle n’a utilisé que l’ordonnance pour des chaussures adaptées. J’en ai la preuve par le tampon d’une pharmacie de Privas la ville de son domicile. Elle a donc retardé les soins à apporter notre mère. Il se trouve que c’est au début de la maladie que la stimulation de la mémoire est efficace. Quand j’ai pris des nouvelles de la mise en place d’aide j’ai obtenu deux versions différentes. Ce serait une assistante sociale qui aurait estimé que notre mère n’avait pas besoin d’aide ou dans l’autre version c’était une infirmière qui aurait dit que notre mère n’avait besoin de rien. Je n’ai pas compris cette incohérence mais je n’ai pas cherché à savoir. Avec ses informations martelées adroitement par Morgane. Nous n’avons rien fait. Je faisais alors complètement confiance à celle qui dans ses paroles avait toujours bien veillé sur notre mère. J’admirais alors son dévouement. Maintenant je sais que c’est faux. Il a fallu de très nombreuses souffrances pour que j’ouvre les yeux.

 Mon patient avait vraiment fait un résumé et il a lu sans rajouter de détails, je le félicite puis je l’incite à me commenter cet événement :

-  A ce moment-là je trouvais bizarre le niveau de sollicitude de ma sœur à sa mère. Mais je lui faisais confiance car d’après ses dires, c’est elle qui connaissait le mieux notre mère, elle habitait plus près que moi du domicile de notre mère. A la fin de l’évaluation elle s’est imposée à la réunion de restitution, elle a tout minimisé, disait le contraire de moi.  Je n’y ai pas attaché assez d’importance ce qui comptait pour moi c’était l’avis des professionnels. L’assistante sociale nous avait expliqué qu’il fallait habituer notre mère progressivement à avoir de l’aide à domicile, ce que je trouvais normal.

-    Et maintenant qu’en pensez-vous ?

-    Ma sœur Morgane voulait contrôler la situation, elle pensait qu’elle seule savait ce qui était bon pour notre mère. Mais je sais maintenant qu’elle n’agissait pas pour le bien de notre mère même si elle le déclarait. Je ne me méfiais pas. Il m’a fallu énormément de mensonges pour que j’arrête de lui faire confiance.

-    Vous venait d’admettre que vous étiez exagérément confiant.  

-    Ma sœur m’avait raconté tellement de belles choses qu’elle faisait pour sa mère. Elle avait exagéré et probablement menti pour que j’admire son dévouement. Et je m’en veux maintenant d’avoir été naïf. Lorsque je rédigeais l’historique des traces écrites que j’avais rassemblées. J’avais l’original de l’ordonnance de 2005 pour les soins de la maladie d’Alzheimer. Je culpabilisais en croyant que je l’avais gardé sans l’utiliser. En préparant mon document pour aujourd’hui j’ai relu les ordonnances et j’ai remarqué un tampon de pharmacie de la ville de Morgane, je me suis alors souvenu que Morgane avait pris les documents à la fin de l’examen et me les avait rendus en 2010 avec d’autres documents. Votre idée pour m’éviter de me disperser vient de m’apporter un grand bénéfice je ne me sens plus coupable de cette absence de soins qui a fait probablement perdre quelques années de vie à domicile à notre mère. J’étais plutôt victime du grand pouvoir de manipulation de Morgane.

-    Vous avez dit que vous gardiez des photos et des documents. Pourquoi le faites-vous ? Vous avez du mal à vous séparer de quoi que ce soit ?

– Menacé dans mon emploi des collègues m’ont conseillé de garder des traces de tout ce qui est désagréable. Cela peut servir un jour. Ils avaient raison, les preuves écrites m’ont permis d’obtenir une issue favorable à mon conflit professionnel.

-  J’entrevoie les difficultés inhérentes à votre famille. Vous devrez m’en dire plus sur les relations avec vos sœurs pendant votre enfance.

- Comme j’ai une mémoire sélective je me souviens de peu de chose au niveau des relations. Je vais donc interroger mes sœurs Cara et Stéphane puisque tous les échanges sont impossibles avec Morgane. J’évoquerai aussi des souvenirs avec ma mère et enregistrai ses propos pour ne pas les oublier.

- Bravo vous ne vous êtes pas dispersé en entrant dans les détails qui expliqueraient pourquoi la communication est impossible avec votre sœur ainée. Attention pour enregistrer votre mère vous devez lui demander son accord.  

– Je l’ai déjà fait dans une vidéo ou je demande à ma mère de s’adresser à la caméra. Je fais beaucoup d’introspection. Je viens de passer plusieurs années à essayer de comprendre pendant mes nuits blanches. Je crois que l’enfance a beaucoup d’impact sur les personnalités. Lycéen je lisais les ouvrages du psychologue suisse Jean Piaget.

- justement, vous souvenez vous par un traumatisme ou un incident pendant votre enfance ?

- lorsque j’avais 6 ou 7 ans j’ai dit que j’étais amoureux d’une petite voisine. Mon père s’est beaucoup moqué de moi assez méchamment ou du moins c’est comme cela que je l’avais ressenti. J’en ai conclu que parler de mes sentiments et même en ressentir pouvait me faire rejeter par mon père et par d’autres.  J’ai donc développé une certaine froideur. A 18 ans mon modèle était le Horse Guard, celui qui reste impassible devant le public, qui garde un visage de marbre.

– Intéressant nous reviendrons sur ce point. Nous devons finir.  Je dois limiter l'attente de la cliente qui est dans la salle d'attente.

Nous fixons le rendez-vous suivant au 3 février 2024 et mon patient part, préoccupé, je pense qu’il se rend compte qu’il aura du mal à faire le tri entre ses problèmes d’enfance qui l’ont formaté et ceux qui le font modifier ses perceptions et l’ont conduit à me consulter.

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