Chapitre 2 Le patient ne se livre pas sur son problème actuel
Aujourd’hui, c’est couvert il fait sombre, j’allume ma lampe de bureau et fait entrer mon patient Paul. Il s’assoit et je remarque qu’il a l’air plus reposé je l’invite à commencer :
- Depuis la semaine dernière j’ai réfléchi à notre séance, je regrette de m’être dispersé dans des tas de détails du passé, je n’ai pas pu m’en empêcher.
- Avant que vous ne me racontiez comment se sont fini vos problèmes de 1993 et de 1994, je vous demande de passer quelques minutes à réfléchir à ce qui vous fait le plus souffrir et de me le révéler en une seule phrase. Respirez profondément et prenez le temps !
- D’accord docteur.
Mon patient a l’air d’avoir compris, car il a approuvé immédiatement. Puis Il réfléchit 3 ou 4 minutes et se lance :
- Je crois que je ne supporte pas les incohérences.
- Voilà un bon thème à développer
- J’ai toujours attaché de l’importance à la logique et à la déduction ce qui faisait de moi un bon élève en mathématiques. Quand mon travail m’a conduit à me plonger dans les théories du magnétisme, j’ai appris que, pour ne pas gaspiller d’énergie magnétique, il fallait respecter des proportions entre les dimensions des aimants en particulier le rapport entre la surface et l’épaisseur. Or dans les plans des circuits magnétiques ce rapport allait de 0.07 à 4. Ma conclusion a été qu’il y avait un énorme gaspillage d’un matériau coûteux. Mon travail a tellement fait chuter la consommation d’aimants que les stocks ont rapidement représenté une année de consommation. En effet le service approvisionnement travaillait avec des commandes programmes jamais révisées. Ils achetaient beaucoup plus que les nouveaux besoins même si le chiffre d’affaires avait augmenté car les produits étaient devenus plus performants.
- Stop vous repartez dans trop de détails qui n’ont rien voir avec le présent, vous vous dispersez, j’ai l’impression que vos pensées sont reparties dans vos anciennes souffrances. Vous vous présentez comme quelqu’un qui a vu le problème et l’a bien résolu. Vous ne seriez pas en train de câliner votre estime de soi ?
- pas seulement
Mon patient se tait un instant. Il reprend :
- peut-être que je voulais simplement prouver que la résolution des incohérences a apporté un grand bénéfice. Bien plus tard un chercheur m’a dit que c’est la correction des incohérences qui fait faire les plus grands progrès . Il est vrai aussi que cela m’aide à retrouver mon estime de soi que toutes mes erreurs faites au cours de ces événements malheureux ont fortement affaiblie.
- Je vous crois, vous n’avez pas besoin de me fournir des éléments de preuve. Vous me donnez l’impression que vous doutez de vous. De plus vous êtes difficile à suivre. Essayez d’être plus concis. N’oubliez pas que vos interlocuteurs ne connaissent que rarement le sujet dont vous parlez. Je vous propose un moyen de contrôler votre flot de pensées qui viennent parasiter vos paroles en vous faisant partir dans des digressions. Apparemment vous êtes toujours perturbé par vos anciens problèmes avec votre dirigeant. Prenez le temps de résumer dans votre tête la fin de votre problème professionnel. Puis vous me l’exposerez en 2 minutes. Ainsi vous le déposerez à l’arrière-plan , il perturbera moins vos pensées.
-
Nous restons silencieux, Paul contrôle sa respiration, son corps a l’air détendu mais ça doit s’agiter dans sa tête. Il me fait un signe de tête pour me montrer qu’il est prêt. J’approuve :
- allez-y , vous avez moins de deux minutes.
- Après mon retour en 1994 à ma vie d’ingénieur père de famille je me suis attaché à ne voir que le positif. Heureusement j’ai eu des succès en dehors du site. Bref j’ai supporté ce que je peux qualifier aujourd’hui d’insupportable. En 2003 soumis au même régime que moi, un de mes collègues s’est suicidé. J’ai défendu la veuve et poursuivi l’entreprise pour harcèlement et discrimination. Le siège de la société a indemnisé la veuve et m’a proposé une rupture conventionnelle avec indemnisation. J’avais fait examiner mon dossier par un expert judiciaire qui avait conclu que les délits étaient avérés. Je me suis donc retrouvé chômeur en attente de la retraite.
- Très bien, moins de deux minutes bravo. Je n’ai plus le temps de vous parler de ce que vous laissez apparaitre de votre personnalité complexe. Ce soir j’ai accepté de prendre un patient en urgence. Je vous fixe votre rendez-vous de la semaine prochaine.
Cette séance raccourcie compense un peu le débordement de la semaine dernière, Paul se disperse mais il a tellement de choses à dire. Il faut que je trouve un moyen de le laisser s’épancher sans freiner notre travail. Son cas est intéressant mais je dois aussi penser à mes autres patients. Cela m’a fait plaisir d’entendre comment il a fait pour se libérer d’une situation professionnelle pour le moins difficile.