Chapitre 11 Courriels avant les hostilités

Je presse mon patient de terminer en l’assurant de ma compréhension et de sa capacité à surmonter ses difficultés qui ne peuvent être que passagère. Et j’effectue quelques exercices de respiration et vais faire entrer Paul pour ma longue séance d’écoute : Bonjour Paul comment vous sentez vous aujourd’hui ?

– Plutôt bien, je suis entré dans la phase action. Au lieu de repenser et même de ruminer j’agis en écrivant. J’ai très peu pensé à la mise sous tutelle, votre méthode marche. J’étais motivé pour rédiger ma défense. Je vous lis mes résumés de courriels et des extraits de mon journal des événements rédigé alors : « Le 12 juillet 2009 j’ai envoyé à la demande de Morgane une copie du dossier que j’ avais fait pour les inscriptions en Ehpad de notre mère.

Le 13 juillet, j’ai envoyé l’évaluation en GIR 2 de notre mère. Cela déplaisait à Morgane, elle n’a rien dit mais a fait rechercher des accueils de jour par une de ses filles.

Elle envisageait peut-être toujours de prendre sa mère chez elle comme elle l’avait maintes fois affirmé. C’est ce que j’avais cru, aujourd’hui je pense que c’est pour reprendre le contrôle de la vie de sa mère qu’elle a agi.

Le 16 janvier 2010, la banque de sa mère a demandé à Morgane une signature qu’elle donne le 17.  Elle m’a transféré cet échange pour montrer qu’elle a agi pour sa mère.

Le 30 juin 2011, j’ai cédé à Morgane et lui a envoyé une copie du dossier que je lui avais déjà envoyé un an avant.

 Pour arriver à ses fins Morgane m’a appelé 27 fois et a fait faire 5 fois la même demande par sa sœur Cara. Cela ressemblait vraiment à du harcèlement. Elle signe et envoie le dossier d’inscription sans mon accord.

Dans presque tous ses appels, Morgane disait que l’Ehpad était en train de détruire leur mère et allait la tuer. Elle voulait que le changement ait lieu le plus vite possible. Elle racontait qu’elle avait eu 9 contacts avec la directrice de l’Ehpad où elle voulait faire entrer notre mère. Elle pensait qu’il n’y aurait bientôt plus de place. Elle m’a demandé le code d’accès au compte de leur mère pour faire un virement. Comme je lui ai dit que ce virement provoquerait un découvert, elle m’a fait relancer par son mari qui m’a demandé de faire un transfert depuis un livret d’épargne de notre mère, mouvement qui ne peut se faire qu’avec l’accord du juge et prend habituellement 2 mois. Il disait que Morgane et leur fille était en pleurs. Cette incohérence du couple m’a fait rire à ce moment-là. Si ma sœur était vraiment désespérée et voulait faire un changement immédiat il lui suffisait d’avancer la caution. Elle prétendait avoir oublié son chéquier lors de ses quatre visites de relance pour obtenir une date d’entrée. Celle qu’elle appelait directrice aurait refusé le chèque de sa fille au motif qu’elle ne pouvait pas accepter le paiement d’une petite fille. Le couple Moreau qui étale son grand train de vie ne veut absolument rien payer pour la mère de Morgane alors qu'elle proclame que sa mère est tout pour elle.

Le 1er septembre Morgane a envoyé un courriel à l’Hepad et m’a mis en copie. J’ai appris ainsi qu’elle avait pris un engagement pour moi sans m’en avoir informé. Elle a annoncé aussi que sa sœur Cara viendra faire le paiement le lendemain ».

Paul vient d’arrêter sa lecture. Je lui fais préciser ce que je soupçonne :

- vous venez de me confirmer la complexité de la relation avec votre sœur. Vos mails et vos notes montrent un grand niveau de stress. Vous vous sentiez manipulé, vous aviez l’impression de ne plus rien contrôler, il n’y avait pas de dialogue entre vous. Vos mails paraissent sans réponse. Comment échangiez-vous ?

- Morgane ne me répondait jamais par écrit. Les rares messages venant d’elle sont des transferts ou des copies pour information. Elle a refusé de prendre mon appel téléphonique. On ne dialoguait plus et cela n’a pas changé.

– la situation ne peut que s’aggraver ainsi. Pourquoi avez-vous accepté des incohérences sans réagir ? vous avez laissé votre sœur piétiner cette valeur importante pour vous, pourquoi ?

– à ce moment-là je ne voulais pas percevoir la méchanceté de ma sœur j’avais en en tête les souffrances qu’elle avait endurées pendant son cancer. J’avais une espèce de superstition, je croyais que penser du mal d’elle la rendrait malade. Si son cancer montait au cerveau, je ressentirais de la culpabilité. Elle jouait très bien un intense désespoir. Maintenant je me trouve bête j’avais toujours eu des indices et je n’en ai pas tenu compte.

– beaucoup de gens ont comme vous peur de ressentir de la culpabilité car ce sentiment nuit à l’estime de soi. Vous ne vous respectez pas, et pourtant vous respectez exagérément les autres, c’est perceptible dans vos écrits. Revenons à votre défense, vous ne dites pas de mal votre sœur dans vos mails et ils sont espacés. Morgane vous reproche ce qu’elle a fait c’est une indication de perversité. Mais vous ne devez pas l’affirmer, c’est une expertise qui le dira. Il y a assez d’éléments lourds pour aujourd’hui. Je dois faire une synthèse de notre séance.

Paul est toujours brouillon mais je m’y retrouve. Son histoire est particulière, il a bien la bienveillance fréquente chez les hauts potentiels, et leur pensée arborescente.