Chapitre 1 à 7
Avant propos
Dans ce blog mes lecteurs assistent à la création d’un roman. Les dates de publications sont fausses pour garder l'ordre des chapitres. La date de cet avant propos est celle de mon dernier passage sur le blog pour faire des mises à jour.
Bonne lecture.
Ce roman est inspiré de ma propre expérience avec une de mes sœurs. Il raconte mes perceptions ma façon de vivre les événements et ce qui m'a fait rire. Il ne s’agit pas d’un règlement de comptes, mais d’un témoignage romancé. Tous les personnages et les situations sont fictifs. Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existées serait purement fortuite. J’espère que ce roman vous touchera et vous permettra d'éviter les erreurs propres à ma personnalité.
Ce roman cite quelques dysfonctionnements de la justice française. Il met en scène des personnages fictifs confrontés à des situations réalistes et parfois choquantes. Il ne s’agit pas d’une attaque contre les magistrats ou les avocats, mais d’une réflexion sur le manque de moyen du système judiciaire. Le lecteur est invité à se faire sa propre idée sur les faits exposés, sans préjugé ni parti pris. J’espère que ce roman vous fera réfléchir et vous divertira. Les incohérences que je raconte m'ont d'abord fait rire.
Chapitre 1 Le retour du patient bavard Il commence à montrer ses faiblesses
Je raccompagne Madame Durand jusqu’aux escaliers. J'ai entendu mon patient suivant arriver, il y a une dizaine de minutes. Je reviens à mon bureau et essaye de me souvenir de ce patient que je recevais il y a 20 ans. Rien ne me vient et je n’arrive pas à mettre un visage sur son prénom Paul. J’ouvre la porte insonorisée qui sépare mon cabinet de la salle d’attente et lui désigne la chaise devant mon bureau. Il s’assoit et parle : « Bonjour docteur,
- Bonjour, comment puis-je vous aider ? Quand vous avez pris le rendez-vous vous avez dit que vous m'aviez déjà consulté vous pouvez me rappeler les circonstances ? Est-ce pour le même problème ?
- Non c’est différent bien que cela se manifeste par un trouble du sommeil aussi. Il y a 20 ans je n'arrivais pas à m'endormir, Maintenant je me réveille très tôt et je ne parviens pas à me rendormir ».
- soyez un peu plus précis vous vous réveillez à quelle heure ?
- le plus souvent 3 h, parfois 1 h et de temps en temps je fais une nuit blanche. J’aimerais retrouver le sommeil que vous m’aidiez comme vous l’aviez fait.
Puis mon patient me remet en mémoire sa dépression, le traitement que je lui avais prescrit ; un inhibiteur du recaptage de la sérotonine. Il me raconte ses problèmes professionnels et familiaux d’alors et la perte de son unique soutien. Il n’a pas complètement accepté la situation et ses erreurs, d’où ce flot de paroles. Il se noie dans les détails. Je me souviens : il a une grande tendance à la dispersion. Il reste néanmoins intéressant et je laisse la séance se poursuivre au-delà de l’heure. Nous n’avons pas encore abordé son problème actuel, il a peut-être du mal à en parler. Après tout ce n’est pas trop grave pour une première séance. Nous fixons un rendez-vous la semaine suivante, même heure, même jour.
Chapitre 2 Le patient ne se livre pas vraiment
Mon patient a l’air moins impressionné, plus calme, j’essaye de lui faire préciser son mal être : « pouvez-vous me dire en peu de mots ce qui vous amène ici ?
- Depuis la semaine dernière j’ai réfléchi à notre séance, je me suis dispersé dans des tas de détails du passé, j’ai du mal à m’en empêcher.
- Je vous arrête tout de suite, je vous demande de passer quelques minutes à réfléchir à ce qui vous fait le plus souffrir et de me le révéler en une seule phrase.
- D’accord docteur. »
Mon patient a l’air d’avoir compris son approbation est courte. Il réfléchit 3 ou 4 minutes puis se lance : « Je crois que je ne supporte pas les incohérences.
- Voilà un bon thème à développer
- J’ai toujours attaché de l’importance à la logique et à la déduction ce qui faisait de moi un bon élève en mathématiques. Quand mon travail m’a conduit à me plonger dans les théories du magnétisme, j’ai appris que, pour ne pas gaspiller d’énergie magnétique, il fallait respecter des proportions entre les dimensions des aimants en particulier le rapport entre la surface et l’épaisseur. Or dans les plans des circuits magnétiques ce rapport allait de 0.07 à 4. Ma conclusion a été un énorme gaspillage d’un matériau coûteux. Mon travail a tellement fait chuter la consommation d’aimants que les stocks ont rapidement représenter une année de consommation. Car le service approvisionnement travaillait avec des commandes programmes jamais révisées. Ils achetaient beaucoup plus que les nouveaux besoins et pourtant le chiffre d’affaires avait augmenté car les produits étaient devenus plus performants.
- Stop vous repartez dans trop de détails, j’ai l’impression que vos pensées sont reparties dans vos anciennes souffrances. Vous vous présentez comme quelqu’un qui a vu le problème et l’a bien résolu. Vous ne seriez pas en train de câliner votre estime de soi ?
- Non. »
Mon patient se tait un instant. Il reprend : « peut-être, je voulais simplement prouver que ces incohérences ont conduit à un grand progrès. Bien plus tard un chercheur m’a dit que c’est la correction des incohérences qui fait faire les plus grands progrès ».
Je clos la séance, fixe un rendez-vous et lui annonce que je vais réfléchir à un moyen de contrôler ce flot de liens avec ses expériences qui retardent les soins.
Chapitre 3 Le résumé du problème La méthode pour progresser
J’ai prévenu mon patient de mon retard par SMS. Il m’a répondu, il devrait être là. Je monte, il m’attend en regardant par la fenêtre.
- Bonjour vous m’attendez depuis longtemps ?
- Non seulement dix minutes, bonjour Docteur, j’avais bien reçu votre SMS
- Entrez, je vous demande un instant
Je regarde mes mails, vérifie les messages, me lave les mains et ouvre la porte de la salle d’attente. Mon patient feuillette une de mes vieilles revues.
- Asseyez-vous !
- Docteur je suis content de vous voir, j’ai réfléchi et j’ai envie de rendre nos séances plus efficaces
- Pour commencer je vous donne un exercice un peu difficile pour vous : être concis, résumez-moi votre problème en quelques phrases.
Mon patient prend en air concentré, ses lèvres bougent comme s’il était en train de se dicter un texte. Après cinq bonnes minutes il se lance :
- Je n’arrive pas dormir lorsque je passe en revue ce que je vis depuis 2008. Ma compréhension des événements aujourd’hui est très différente de celle que j’avais lorsqu’ils ont eu lieu. J’en souffre moins mais ma mère en souffre encore tous les jours.
- quels sont vraiment vos problèmes de sommeil maintenant ?
- Les plus rares sont une nuit blanche, il plus souvent je m’endors mais une fois réveillé je ne peux pas me rendormir. Pour ne pas nuire au sommeil de mon épouse je m’efforce de rester immobile et de penser à autre chose, j’ai essayé le contrôle de la respiration et le calcul mental. Au bout d’une ou deux heures sans résultats je me lève et écris un journal des évènements.
- Bravo vous venez d’être concis sur deux sujets, cela a-t-il été difficile ?
- Beaucoup je me suis retenu de vous détailler les différents types de respirations que j’avais trouvées dans mes nombreuses lectures. J’ai plus de 30 livres, achetés pour qu’ils m’aident à aller mieux et à comprendre ce qui ne va pas chez moi. Je me laisse aller à mon penchant naturel, je fais ce que beaucoup prend pour une justification, j’explique ce que j'ai développé pour provoquer le retour du sommeil. Une nuit j’ai repensé à la méthode d’extraction des racines carrées que j’avais appris il y a 55 ans. Je l’ai analysée et les nuits suivantes l’ai étendue aux racines cubiques. Depuis je prends un nombre au hasard et extrait mentalement sa racine cubique. Certains matins, je vérifie sur une calculette, en général c’est bon. Il m’est même arrivé d’avoir cinq chiffres exacts. J’y arrive moins souvent maintenant car je me rendors lors de la recherche du quatrième chiffre.
- Vous repartez un peu dans les détails mais ce que vous venez de dire me suggère plusieurs points intéressants. Vous m’avez parlé d’un résultat de calcul flatteur pour vous. Cela vous aide à maintenir votre estime de vous et un peu votre confiance en vous. C’est une bonne chose pour aider à supporter les souvenirs douloureux. Il me semble que vos calculs doivent se faire par tranche de trois chiffres car dix au cube fait mille. Pas étonnant que cela vous rendorme maintenant que vous semblez aller mieux.
- C’est exact, dès le troisième chiffre, je fais des opérations sur des nombres en millions au cinquième ce sont des billions. Et puis je me dis que c’est une bonne chose pour faire travailler ma mémoire, il faut garder en tête quatre grand nombres pour les additionner avant de les soustraire à un résultat précédent. Chacun d’entre eux étant le résultat de plusieurs opérations dont un cube, un carré et des multiplications.
Il va être le moment de clore la séance, je fais part à Paul de mes réflexions :
- Je pense que vous pouvez être capable d’analyser vos problèmes et de comprendre mieux ce que vous avez vécu en l’écrivant. Vous rédigez un historique des événements en les commentant avec vos pensées d’alors et en exposant votre point de vue d’aujourd’hui. Vous me remettrez vos textes et ainsi nous pourrons travailler sur votre personnalité sans que vos souvenirs viennent parasiter la séance.
- D’accord docteur, je vais récupérer mes notes nocturnes et vous en apporter des parties. J’essayerai de ne pas parler du fond des écrits mais seulement de ce que m’a inspiré leur écriture sur ma façon de réagir et de communiquer.
Nous nous saluons et mon patient part souriant.
Chapitre 4 La première note Le premier constat
Je vais chercher mon patient dans la salle d'attente avec un bon retard. Il a l’air triste. J’aborde directement le sujet :
- Entrez et expliquer moi ce qui ne va pas.
- Mes notes sont désagréables à relire et pas très compréhensibles si je ne précise pas ma position dans la famille avant. Je suis l’ainé et le seul garçon de la famille, pour notre père la continuité du nom était importante et dans les années soixante les garçons devaient être durs, ne pas montrer leurs sentiments alors que les filles, étaient vue comme personnes douces qui pouvaient extérioriser leurs émotions. Notre mère me confiait ses soucis et la garde de mes sœurs lorsqu’ils sortaient le soir. J’emmenais ma sœur, plus jeune de deux ans, à l'école alors que je finissais la maternelle puis commençais le cours préparatoire. Bref cela m’a doté d’une personnalité particulière ce que j’ai commencé à comprendre presque 50 ans après lorsque je venais vous voir. Les tristes événements que j’ai écrits ont complété ma façon de me voir.
- Remettez-moi votre premier texte et nous allons nous intéresser à ce que cela révèle de vous.
- Le voici : « En 2007 notre fille Justine qui a fait en 2004 sa thèse de médecine sur la maladie d’Alzheimer nous signalait la possibilité d’un début d’Alzheimer de notre mère. Puis en 2010 elle m’a signalé l’existence des centres d’évaluation gériatrique. Je l’ai donc emmenée pour un bilan. Il fallait laisser notre mère seule dans l’établissement pendant 5 jours. Ma sœur Morgane y est allée tous les jours et a fait un scandale lorsque notre mère a marché pieds nus pour un test d’équilibre. Elle m’a raconté alors que notre mère avait toujours eu des talons qu’ils allaient la faire tomber ».
Mon patient soupire puis :
- Alors je trouvais bizarre le niveau de sollicitude de ma sœur à sa mère. Mais je lui faisais confiance car d’après ses dires, c’est elle qui connaissait le mieux notre mère, elle habitait plus près que moi du domicile de notre mère. A la fin de l’évaluation elle s’est imposée à la réunion de restitution, elle a tout minimisé, disait le contraire de moi. Je n’y ai pas attaché d’importance ce qui comptait pour moi c’était l’avis de l’assistante sociale. Elle nous a expliqué qu’il fallait habituer notre mère progressivement à avoir de l’aide à domicile, ce que je trouvais normal.
- Et maintenant qu’en pensez-vous ?
- Ma sœur voulait contrôler la situation, elle pensait qu’elle seule savait ce qui était bon pour notre mère. Je n’avais attaché aucune importance à ses dires car j’étais persuadé que seule l’avis médical comptait.
- Vous venait d’admettre que vous étiez exagérément confiant.
- Ma sœur m’avait raconté tellement de belles choses qu’elle faisait pour sa mère. Elle avait exagéré et probablement menti pour que j’admire son dévouement.
- Vous m'en raconterez plus la proche fois. Je dois limiter l'attente de la cliente qui est dans la salle d'attente.
Nous fixons le rendez-vous suivant et mon patient part, préoccupé, je pense qu’il se rend compte qu’il aura du mal à regarder de loin son passé perturbant.
Chapitre 5 La première erreur La confiance
Mon patient va droit but. Il me remet une demi-page. Et me dit :
- il y a un abysse entre ce que pensais lors de la réunion de mon écrit et maintenant.
- laissez-moi deux minutes pour lire et expliquez-moi !
"Le bilan de l’évaluation de notre mère était un Alzheimer avéré. Elle aura de plus en plus besoin d'une assistance. Pour vaincre sa réticence à se laisser aider. Il nous a été conseillé de commencer par une aide au ménage. Bien que Morgane ait déclaré à l’assistante sociale que notre mère n’avait besoin de rien, qu’elle se débrouillait et elle-même l’assistait. J’ai tenu à ce que nous nous concertions. Nous nous sommes réunis chez Morgane avec Cara. Nous avons décidé de mettre en place une aide au ménage, pour habituer notre mère aux interventions extérieures. Cara devait faire cette démarche car elle travaillait dans les services sociaux du département. Le docteur avait aussi fait une ordonnance pour des séances de stimulation de la mémoire dont Morgane devait s’occuper. Un mois après je prenais des nouvelles auprès de mes sœurs. Cara m’a dit qu’une infirmière était passée et qu’elle avait trouvé notre mère capable de se débrouiller seule. Morgane m’a parlé d’une assistante sociale qui a jugé que notre mère n’avait besoin de rien car il y avait un compagnon. Elle a été très floue sur sa présence, lors de la visite, dans l’appartement de notre mère mais elle était affirmative sur l’absence du compagnon et sur le fait que Cara n’avait pas fait de dossier d’aide au domicile."
Je repose le texte et lève les yeux vers Paul. Il comprend mon incitation à commenter.
- en relisant ceci je me suis rendu-compte que j'avais été bête, j'aurai dû réaliser que nous étions manipulés par Morgane. Maintenant je pense qu'elle a veillé à ce que notre mère ne soit pas suivie de près pour dissimuler sa maladie. Il y avait des indices et j'ai appris au fil des événements beaucoup de choses que Cara n'avait jamais cru bon de me révéler comme ce qui suit. Morgane a dit que classer notre mère en Gir2 était dégradant pour elle. Il me semble qu'en réalité, elle se moquait de ce que pensait sa mère, c'est elle qui se sentait dégradée par la maladie de sa mère. Une mère sénile c'était dans son esprit pas bon pour son image. Elle m'avait dit avant l'examen que le médecin traitant de notre mère avait utilisé le mot Alzheimer et que c'était inadmissible. Je ne voulais pas voir la personnalité de Morgane et pourtant maintenant en comparant nos souvenirs à moi et à Cara et en lisant les nombreux documents des procédures que j'ai perdues, je suis certain que Morgane a toujours été très imbue de sa personne.
- Nous sommes ici pour parler de vous. Est-ce que cela vous a fait bien de remettre à leur place ces événements ?
- Oui c'est un peu comme si je regardais un film quand je raconte ma vision d'aujourd'hui. Je regarde de loin, ressens des émotions, comme du dégoût, des regrets mais je ne culpabilise plus. Ces tristes faits sont dans un passé sur lequel il est impossible de revenir. Ils sont archivés dans le papier, ils n'ont plus besoin d'encombrer ma mémoire vive.
- Vous progressez bien, la prochaine fois mettez moi un extrait plus grand de vos notes. Nous allons continuer ainsi jusqu'à ce que vous retrouviez un sommeil paisible. A la semaine prochaine.
Chapitre 6 Des aveux L’évolution de la méthode de libération
Paul pose son manteau et sort d’une poche plusieurs pages.
- Que m’apportez-vous là ?
- En essayant de continuer dans l’ordre chronologique, je me suis aperçu que je n’avais pas retranscris dans mon journal des événements : des faits éclairants mais je les avais écrits pour m’entraîner. La volonté d’écrire un livre ne m’a jamais quitté depuis 1968. Mais champion de la procrastination j’ai toujours trouvé des prétextes pour différer le moment d’écrire. J’ai des morceaux de texte un peu partout que je glisse dans l’ordre et que je complète.
- Ce serait donc cela ces papiers !
Il déplie les feuilles et me les tend en parlant :
- Morgane m’avait appelé pour me demander si je voyais un inconvénient à ce que notre mère refasse sa vie. J’ai alors trouvé cela normal notre père était mort depuis des années. Et puis elle le rencontrait et pouvait juger comment il se comportait avec notre mère. Je faisais confiance à Morgane. Je vous laisse lire ce que j’ai écrit l’année dernière.
« Raoul a rencontré notre mère dans le bar où elle avait l’habitude de prendre un café. Il avait l'énorme avantage de venir de la même région qu’elle. Il lui a proposé de l’emmener dans sa région natale quand il allait voir son frère. Il s’est présenté comme un bon bricoleur, capable de résoudre la plupart des problèmes domestiques. Il a proposé aussi de la véhiculer, elle qui ne conduisait pas. Morgane qui voyait souvent sa mère ou du moins le racontait, n'a pas remarqué le manège de cet homme qui petit à petit a réussi à s’imposer dans la vie de notre mère. Il racontait qu'il passait beaucoup de son temps à dépanner les personnes âgées qu’il avait été employé à la commune comme plombier. Il prétendait être en relation étroite avec le maire, avoir été celui qui avait préconisé les systèmes de chauffage des bâtiments communaux. Morgane avait bien remarqué que cet homme savait tout sur tout mais cela ne la choquait pas car elle-même avait une opinion tranchée dans tous les domaines. Raoul prétendait posséder une maison avec un jardin dont notre mère pourrait s'occuper. Il avait compris qu’elle avait la nostalgie de son jardin dont elle s'était séparée quelques années auparavant. Quand il a proposé qu'ils vivent ensemble, il a convaincu notre mère que ce serait plus pratique si c'était lui qui emménageait chez elle car il avait des locataires dans sa maison. Les enfants les plus lointains lui on dit si ça te fait plaisir nous n'y voyons pas d'inconvénients. Morgane qui avait pourtant entendu beaucoup de choses sur la maison de Raoul et qui était même allé la voir, n’a pas trouvé étrange que disposant d'un appartement dans une maison avec jardin, il préfère venir vivre en HLM. Elle n'a pas non plus parlé de la maison à son frère avant l'installation de Raoul chez leur mère. Morgane s'est rendu compte que Raoul volait notre mère, il avait fait un chèque à son nom en imitant maladroitement la signature. Elle a essayé de le récupérer mais en s'y prenant trop tardivement. Elle a essayé de protéger les comptes de sa mère en faisant un transfert de 1000 € entre le compte courant et le livret A de sa mère car elle avait une procuration. Plus tard elle constatera d’autres vols dont 2400 € soutirés en 2 semaines, mais ne fera rien de plus. En revanche, elle racontera en détail à son frère les histoires rocambolesques de Raoul pour soutirer de l'argent à leur mère. Il devait faire réparer la voiture pour pouvoir l'emmener dans la région chère à son cœur. Il devait aider son fils en difficulté Australie. Il devait avancer de l'argent au notaire après le décès de sa sœur. Il devait faire le plein de fioul pour chauffer ses locataires. Sa femme n’était pas la mère de ses enfants. Morgane est allée voler le courrier de Raoul dans sa boîte aux lettres. Elle a pu montrer à sa sœur Cara la maison et faire croire qu'elle protégeait sa mère. Elle a même emmené sa mère et son compagnon en vacances dans son studio au bord de la Méditerranée. Elle le trouvait sale mais pour se rendre admirable elle était prête à devoir tout renettoyer après leur passage. »
- Qu’avez-vous ressenti en relisant ce texte pour me l'imprimer ?
- D’abord de la colère après moi, d’un optimisme béat, je n’avais pas cherché à savoir. Je m’étais rassuré en me disant que Raoul avait au moins le mérite de pousser notre mère à préparer des repas. Je n’ai que très vu Raoul. Il était absent en dehors du déjeuner qui devait être servi à midi pile à cause de son diabète. A cette période-là j’allais rarement voir ma mère. Je la croyais bien entourée. Je n’ai jamais su quand il a commencé à fréquenter notre mère. En cherchant des documents pour les procédures judiciaires j’ai trouvé des traces de paiement par carte bleu qui prouvent que ma mère a voyagé avec Raoul dès 2001. Jusqu’en 2010 Morgane abusait de ma confiance en prétendant protéger sa mère. Elle n’a demandé une procuration pour surveiller les dépenses qu’en 2004.
- Stop vous repartez dans les détails. Gardez les pour l’écrit.
- D’accord je vais faire du ménage dans mes souvenirs comme je le fais pour mon ordinateur. Les anciens fichiers je les grave sur des CD et les efface de la mémoire de l’ordinateur. Il est rarissime que je recherche un vieux document mais cela me rassure de savoir que je peux toujours les retrouver. Ces mauvais souvenirs une fois mis sur le papier deviennent beaucoup moins virulents. Les stupidités de Raoul recommencent à me faire rire alors que l’année dernière ils me faisant mal pendant que je les racontais.
- Continuez à vous débarrasser de tout cela, vous n’aurez moins envie d’en parler. Maintenant je note notre prochain rendez-vous. Vous me régler comment ? carte ou espèces ?
- Espèce. Au revoir.
Chapitre 7 Auto-Analyse
Je suis content de voir ce patient. Il patauge, tâtonne mais essaye de progresser. Il prend plutôt bien des situations difficiles à supporter. J'apprécie sa volonté de s'améliorer.
- Docteur voici comment je me décrivais alors que j'essayais d'écrire un livre il y a cinq ou six ans. Quand j'ai retrouvé ce texte j'ai pensé qu'il vous intéresserait.
- je lis ainsi je verrais comment vous voyiez alors et vous me direz après ce que vous pensez qui a changé.
« Je m’appelle Paul, je suis un handicapé de la vie. J’ai essayé beaucoup de techniques pour progresser, corriger mes faiblesses, mieux diffuser du bonheur et vivre des moments heureux. Je ne mets pas en œuvre ces techniques, ou du moins je ne le fais que partiellement car j’ai une fâcheuse tendance à la dispersion. Je me considère comme un champion de la procrastination dispersive. C'est-à-dire que quand je suis seul je remets à plus tard les choses importantes que je devrais faire ou que je suis en train de traiter pour m'occuper de choses secondaires. Il suffit que mes yeux se posent sur un objet qui a besoin d'être réparé où qui m’intrigue pour que je perde le fil de mes pensées. Ainsi alors que je suis en train d'écrire ce texte très important car il pourrait m'apporter une paix de l'esprit, mes yeux se sont posés sur un petit camion cassé, je me suis arrêté et je l’ai recollé. En compagnie lors d'une discussion le moindre petit élément me fait partir dans une digression alimentée par mes souvenirs car ma grande curiosité m’a fait accumuler un très grand nombre de connaissances. J’ai alors une anecdote qui va dans le sens de l'approbation de ce qui vient d’être dit. Cette attitude ne plaît pas à tous ou plutôt elle plaît rarement. J’ai ainsi développé la réputation d'être un grand bavard. Il est même arrivé que des personnes m’évitent, d’autres me faisaient signe d’arrêter de parler. Un moindre mal est que j'ai toujours en tête le sujet initial en arrière-plan et que je sais y revenir. Hélas beaucoup de mes interlocuteurs se lassent avant. Quand une personne en face de moi comprend que mon intervention est une approbation de ses propos et que je la fais pour la pousser à aller plus loin, à développer, il s'établit alors un dialogue ping-pong extrêmement riche. Ce que je viens d'écrire me fait comprendre que ce travers explique une partie de mes difficultés relationnelles. Dans le monde du travail je me suis presque toujours interrompu pour aider un collègue, répondre à une sollicitation sur un sujets mineur. Évidemment le travail délaissé devait quand même être fait donc je restais tard le soir même parfois je le faisais le week-end. Ce mot week-end me rappelle que alors que je devais faire le lundi une présentation importante à l'ensemble des dirigeants du groupe pour lequel je travaillais, j'avais passé ma semaine à aider des collègues. J'ai dû employer mon samedi et mon dimanche à préparer cette présentation. Cette anecdote ouvre la porte à une foule de pensées. Je vais en énumérer quelques-unes mais sans ouvrir les portes que chacune d’entre elles ouvre. Puis je reviendrais au sujet initialement prévu. Je ne sais pas dire non. Je travaille mieux sous pression. Quand pressé par l'urgence, j'arrive à me concentrer je néglige tout mon environnement. Ma famille n’a pas dû apprécier ce week-end-là. Je peux parfois travailler très vite, j'avais préparé une présentation de plus de 100 pages en deux jours.
Je souhaitais faire une courte présentation de ma personnalité pour rendre mon récit plus clair. Au lieu des plus de 500 mots ci-dessus j'aurais pu simplement écrire je suis un handicapé de la vie parce que je suis à HPI, haut potentiel intellectuel, avec tous les défauts de ce type de personnalité. Je maîtrise mal les émotions. Je vois du compliqué dans les choses simples. Mes raisonnements sont difficilement compréhensibles car trop originaux. Je suis plein de contradictions, dur au travail et fainéant, confiant dans mes capacités et doutant, courageux voir téméraire pour affronter des puissants, lâche en cas de risque de blesser l’interlocuteur ».
- votre deuxième paragraphe suffit. Dans le premier vous donnez pléthore de détails. La plupart des gens considère comme des justifications ce que vous pensez être des explications. Vous abordez assez lucidement beaucoup de points sur lesquels vous aurez à travailler. Pensez-vous que vous soyez très différents aujourd'hui ?
- Pas vraiment, tous mes déboires m'ont fait souffrir mais pas au point de me transformer. Je suis peut-être un peu plus attentif. J'essaye de prendre plus de recul. Je regarde plus l'impact des événements sur ma personne. Bref je pense plus à moi. Je finirai par m'occuper de moi en priorité au lieu de me faire passer après tout le monde. Je vais revenir à mon projet initial : me débarrasser de toutes ces bêtises qui ne méritent pas d'encombrer ma mémoire.
- Bon courage pour ce ménage qui vous aidera, de mon côté je réfléchis à d'autres moyens pour vous faire sentir mieux. En attendant notre prochaine séance continuer à écrire.
- j’y pense, j’ai aussi un autre texte à propos de Raoul que voilà : « Pour écrire la vraie vie de Raoul il faut revenir de bien des années. Je me suis occupé des documents administratifs de notre mère quand elle a dû laisser son logement. Quand le cancer de Raoul a atteint un stade inquiétant, j’ai contacté ses frères. Autour d'un café le frère qui vit dans le Jura ha a été loquace. Raoul était un artisan plombier, pas très courageux ni très organisé. Ses affaires tournaient mal et il était obligé de faire appel à la générosité de son beau-père pour faire vivre sa femme et ses 2 enfants. Les fournisseurs, non payés, devenaient très pressants, les clients menaçants et le beau-père s’est fatigué de faire vivre la famille de sa fille. Raoul a décidé d’agir, il s'est enfui et s’est réfugié en Ardèche très loin de sa Bretagne natale. Il n’a pas informé son frère du Jura qui avait eu la très désagréable surprise de voir arriver les gendarmes sur son lieu de travail car Raoul avait été poursuivi pour ses dettes. Peu après son arrivée, il est allé à l'église rencontrer un prêtre, il a très bien su plaider sa cause le prêtre lui a trouvé parmi ces paroissiens une famille généreuse pour l'accueillir. Ensuite les services sociaux l'ont aidé à trouver du travail. Il a été embauché par la commune. De temps en temps il déménageait lorsque les personnes qui l’hébergeaient commençaient à se lasser de ce squatter. Car il ne se gênait pas il utilisait leurs véhicules. Jovial toujours prêt à boire un coup, il s'est fait de bons copains parmi le personnel communal ».
Mince alors il me manque une page. Je vous l’amènerai la prochaine fois.
- ce ne sera pas forcément nécessaire. L’important est la libération que l’écrit vous apporte. Vous en voulez toujours à Raoul ?
- non c’est un pauvre homme, pauvre au sens limité intellectuellement. Narcissique, il n’était pas au niveau au niveau qu’il aurait aimé être alors il s’est inventé une vie plus facile à supporter. Il croyait à ce qu’il racontait, il était donc convainquant. Je ne suis pas certain que cela le rendait heureux. Tricher tout le temps ne doit apporter que de maigres satisfactions.
Je tends à Paul mon carton avec la date du rendez-vous et il part.