Chapitre 16 Une erreur magistrale.
Une fois que Paul se soit assis en face de moi, je lance la consultation :
- Je vois que vous avez hâte de me lire les feuillets que vous tenez, je vous écoute.
Paul ajuste ses lunettes et parle de sa voix grave :
- J’ai envie de vous parler de l’entrée à l’Ehpad. Dans le règlement il est écrit que l’Ehpad peut rompre le contrat en cas de difficulté avec le pensionnaire. Je me fais assez souvent peur pour me générer de l’adrénaline, je craignais alors de ne plus avoir de solution pour notre mère. J’étais stupide car la seule à avoir dénoncé Les Jardins du Bien-Être était Morgane et elle avait signé seule le contrat avec la Résidence des Jours Gris. Pour éviter tout problème administratif j’avais refait un dossier complet.
– vous venez d’avouer un trait de votre personnalité dont nous devrons parler quand vous aurez moins la tête dans votre histoire. Lisez-moi ce que vous avez rédigé.
– J’ai mis en meilleur français mes notes de la période du changement. J’ai besoin de suivre l’historique pour être plus clair. Voilà mes notes : « Cara a fait l’intermédiaire entre moi et Morgane car elle ne voulait plus me parler. Elle m’a informé de la date du déménagement fixée au 14 septembre où elle ne pouvait pas être et a demandé à Mme Miellet de le reporter au 30 septembre.
Le 15 septembre Morgane en colère m’a reproché le report au téléphone. Elle m’a déclaré que le 14 elle aurait fait le déménagement toute seule, que le 30 est admissible, car sa mère est en danger, qu’ils vont la tuer d’ici là. Je renonce à lui rappeler qu’elle a fixé avec, Mme Miellet, la date sans en parler à personne. Je ne lui rappelle pas non plus qu’en juillet elle exigeait que je dénonce le contrat des Jardins du Bien-Etre avant d’avoir une place à la Résidence des Jours Gris. Elle disait : si maman n’a pas de place je la prendrai chez moi. A ce moment-là je ne savais pas que Morgane avait retourné le règlement et le contrat signé dans la nouvelle Ehpad. J’avais vu son envoi du 30 juin mais je n’avais pas téléchargé les pièces jointes et par conséquent pas vu les dernières. Je ne pouvais pas imaginer que Morgane avait signé le contrat sans en parler. Je m’étais fait énormément de soucis pour ma sœur à cause de son cancer. Je craignais qu’elle n’ait des métastases au cerveau si j’y pensais trop fortement ».
Je fais un signe de la main à Paul qui comprends que je souhaite approfondir un point : - vous venez de laisser paraitre un peu de superstition. Je ne le pensais pas de vous.
– docteur, je ne suis pas très superstitieux. Mais je respecte certaines pratiques qui ont un intérêt. Ne pas passer sous échelle est une question de sécurité ou de taches si un peintre est au sommet. Je ne crois pas à une action par ma pensée sur la santé de Morgane. Cependant une coïncidence me troublerait alors autant l’éviter. Je reprends où j’en étais début septembre : « Morgane a fait rédiger par Cara le courrier de résiliation pour les Jardins du Bien-Etre et elle l’a posté le 12 septembre sans m’en informer. Le 16 septembre je reçois un Appel de l’Ehpad qui m’apprend la résiliation. Je téléphone à Cara qui me dit que Morgane lui avait dit avoir fait un courrier de résiliation manuscrit, Cara avait entendu alors la voix de son beau-frère qui disait tu as juste signé le courrier de ta sœur ».
J’interromps ma lecture pour vous pointer la bêtise de Morgane qui ment même devant ceux qu’elle prétend aimer et qu’elle ne respecte pas ainsi. Je discute longuement avec la cadre de santé qui m’explique que l’artiche 40 du code de procédure pénale l’oblige à saisir le procureur pour la mise en danger d’une pensionnaire et que de toute façon notre mère ne pourra sortir que le 12 octobre à la fin du préavis. J’ai entrepris une série d’actions vis-à-vis de l’Ehpad pour éviter la saisie du procureur. Le 17 septembre j’ai envoyé à mes sœur un courriel trop optimiste. Je vous le lis « Bonjour à vous deux. Hier j'ai reçu un appel de l’Ehpad à la suite de la réception du recommandé de résiliation. La tutelle ne porte pas sur le lieu de vie de notre mère. Le médecin de l'Ehpad doit l'interroger pour vérifier son accord sur le changement. Ensuite l'Ehpad doit saisir le juge de tutelle s'il y a un doute sur l'impact du changement sur la santé de notre mère.
Ce matin je me suis entretenue avec la cadre de santé. Le médecin verra maman mais devrait conclure positivement pour le changement. Car j'ai fait admettre que suivant le moment où on pose la question la réponse de notre mère est différente. La date du déménagement a été évoquée. Il y a une difficulté qui nécessite des vérifications. Je propose de me charger des problèmes avec l’Ehpad actuelle et que Morgane s'occupe des questions concernant le nouvel Ehpad. Ainsi nous sommes bien dans l'esprit d'une cotutelle. Personne n'a contesté mon mail précédent, je mets en pratique ce que j’ai annoncé. Il nous faut bien réussir ce transfert. Bisous à vous mes sœurs ».
Mon courriel à Morgane ne passe pas je corrige immédiatement : « Désolé Morgane pour le loupé de transmission. J'avais mis un point fr au lieu de point com. Le mail a été bloqué. Nous devons réfléchir à ce qui doit être fait pour l'entrée. Je dresse une liste. Tu peux y réfléchir de ton côté, j'ai tendance à oublier des choses. Bisous ».
Ensuite j’ai discuté avec le médecin et informé mes sœurs par ce courriel : « Je viens d'avoir le médecin de l’Ehpad, il ne s'oppose pas au départ de notre mère. Je vous expliquerai plus tard je suis en retard pour aller à mon rendez-vous. Bisous.
J’ai fait de multiples visites à l’Ehpad pour rencontrer la psychologue, le médecin et la cadre de santé pour les convaincre de laisser notre mère quitter les Jardins du Bien-Etre. Morgane s’est remise à agresser la cadre de santé pour un transfert immédiat. Le 22 septembre j’arrive à avoir Morgane au téléphone comme à chaque fois, elle a l’air désespérée à la pensée que l’Ehpad va tuer notre mère. Je réussis à lui parler de l’article 40 et des menaces d’enquêtes sur elle et du préavis. Je suis sidéré par Morgane qui me dit calmement qu’elle est d’accord pour le 12 octobre, que ça ira. Voilà le moment critique, ma mauvaise interprétation des propos de ma sœur et mon ignorance du fonctionnement de la justice sont à l’origine de tout ce qui a suivi. J’ai cru que le changement brutal d’intonation et d’avis de Morgane provenait d’une peur que leurs déclarations fiscales frauduleuses ne soient examinées. Je croyais que le procureur demanderait à la police où à la gendarmerie de rassembler des informations. Je ne voulais pas que ma sœur ait des ennuis. Je suis allé jusqu’à faire dire à notre mère dans une vidéo qu’elle acceptait le changement.
Puis je rencontre les cadres de l’Ehpad et leur dit que Morgane a accepté la date du 12 octobre. J’ai informé mes sœurs le lendemain : « Bonjour mes sœurs, une page va se tourner pour notre mère. Le changement d'Ehpad se met en place. Mercredi soir on partait vers un conflit de plusieurs mois qui se serait fini devant le juge. Ouf c'est réglé. Avec Morgane nous avons été conciliants. Le départ sera le 12 octobre à partir de 10h. L'arrivée au nouvel Ehpad devrait avoir lieu à 14 h. Morgane les appelle pour vérifier. J'ai vu hier la psychologue de l’Ehpad, le médecin, et l'animatrice. Les avis se recoupent notre mère est capable de s'adapter à un nouvel environnement. J'ai deux vidéos de maman et quelques photos qui le confirment. Je ne peux pas les joindre à un courriel alors je vous les enverrai par What's up.
Maman a eu sa troisième injection de vaccin. Le médecin transmettra tous les éléments médicaux au médecin du nouvel Ehpad, Bisous.
Paul s’arrête, légèrement essoufflé et visiblement sonné. Je me penche vers lui : - vous vous êtes démené pour protéger votre sœur et votre mère sans vous rendre compte que c’était incompatible. Je le sais par les quelques éléments de la suite que vous m’avez livrés. Si je vous résume vous avez évité un conflit judiciaire en faisait fléchir votre sœur et vous avez vérifié auprès les cadres de l’Ehpad que le changement ne nuise pas à votre mère. Vous vous trompiez lourdement. Les malades d’Alzheimer supportent très mal un changement de cadre. Votre courriel pour informer vos sœurs ménage Morgane, vous espériez la ramener à la raison par la douceur.
– J’ai malheureusement constaté par la suite que le changement a aggravé la maladie de notre mère. Et que ma sœur ne peut pas sortir de sa conviction qu’il n’y a qu’elle qui est dans le vrai. Je m’en veux de ma bêtise d’alors. Je vous ai livré le récit de la période que j’ai très mal gérée et j’ai un peu préparé ma défense avec quelques courriels car il est impossible de savoir ce que fera la justice. Je suis épuisé, je vous règle et je vais prendre un whisky et dormir.
– Paul je ne peux pas vous approuver pour l’alcool. Si vous vous limitez à un demi-verre l’effet décontractant vous aidera à trouver le sommeil mais risque de vous réveiller en pleine nuit car vous serez déshydraté.
– tant pis j’en profiterais pour écrire. J’ai tellement de choses à vous raconter.
– Je continuerai à vous laisser raconter ce que vous avez vécu pour vous soulager mais je dois vous faire prendre conscience de votre tendance à tenter de tout résoudre seul. Je vous incite à une réflexion sur vos comportements. Vous avez été présomptueux en vous croyant capable de naviguer dans une situation aussi complexe. Nous reparlerons de tout cela. Ce sera tout pour aujourd’hui.
Paul me règle et nous nous saluons. Une fois seul je réfléchi à l’efficacité de nos entretiens. Pour le moment l’écoute est nécessaire. Il sait bien reconnaitre ses comportements problématiques et il a une volonté de changement. Il a répondu aux les défis auxquels il est confronté sans s’occuper de son bien-être mental. Il était surchargé par des responsabilités et des émotions complexes. Il a le potentiel de progresser. Je dois lui apporter le soutien approprié. Je reste focalisé sur l'accompagnement et j’aborderai le développement personnel de Paul quand il aura moins besoin de parler.