Chapitre 5 La première erreur La confiance
Je viens d’entendre arriver Paul. Je jette un coup d’œil à mes notes. Je vais voir si notre stratégie expérimentale continue à fonctionner. Une fois assis en face de moi mon patient sort une feuille de papier. Je commence :
- la dernière fois vous avez réussi à me raconter le début de vos problèmes sans digressions à partir de votre journal rédigé la nuit. Quand avez-vous commencé ? Comment pouvez-vous être aussi précis ?
- J’ai commencé le 9 septembre 2011 quand Morgane m’a fait d’énormes mensonges en paraissant convaincue de dire la vérité. J’ai pris peur, je me suis dit que cela pourrait mal tourner avec elle alors j’ai recommencé à faire ce qui m’a permis de supporter 20 ans de harcèlement au travail. Je garde des écrits pour avoir des preuves que ma mémoire ne me trompe pas. Ainsi je freine les ruminations, j’arrive presque à moins penser aux contrariétés et difficultés. Je range ainsi mes problèmes dans un coin avec la possibilité de revenir dessus si le besoin s’en fait sentir. Pendant mes insomnies j’ai reconstitué les événements qui nous avait mis dans cette situation et j’ai vérifié mes affirmations dans des documents pour ne m’affirmer à moi-même que des choses vraies étayées par des preuves.
- j’espère que vous n’êtes pas venu me voir pour retrouver le sommeil comme autrefois avec des médicaments, je ne vous en prescrirai pas. C’est plutôt par la parole que vous vous évacuerez vos tensions et en écrivant que vous prendrez du recul. Est-ce que nos séances comme elle se déroule actuellement vous font du bien ?
– ho oui ! Je mets de l’ordre dans les événements, les archives et en vous les racontant et les fais un peu passer au second plan. J’ai moins de réminiscence de points que j’ai l’impression d’avoir mal observés.
- Bien continuons ainsi, lisez-moi la suite de votre historique des événements ! Vous en étiez au moment où la maladie d’Alzheimer de votre mère était avérée et que votre sœur ainée devait s’occuper des soins à apporter à votre mère.
– dans mon historique il n’y a rien avant 2008. Je n’ai pas encore reconstitué cette période. Je n’allais pas souvent voir ma mère, je n’appréciais pas le compagnon. En 2006, J’ai fait des démarches pour obtenir le rapport du médecin expert qui a examiné notre mère. Ce rapport était indispensable pour mettre notre mère sous habilitation familiale. Je n’ai pas réussi à l’obtenir et pourtant je l’ai payé. Morgane me parlait beaucoup des vols du compagnon et disait qu’elle allait y mettre fin. Je lui faisais confiance et surtout à ce moment-là j’étais très préoccupé par mes problèmes de travail. Je reportais le moment d’agir pour protéger notre mère.
– repartez dans votre histoire telle que vous l’avez écrite !
« En février 2008, Cara partiellement sortie de son déni, faisait une demande d'APA pour une aide au maintien à domicile. J’ai dossier reçu le 13 février. Elle a aussi parlé de l’ESAT à Morgane qui a fait une demande par téléphone le 15 mars 2008. Elle a utilisé l’ordonnance pour les séances de stimulation cognitive qu’elle avait gardée. Le 16 mai mes sœurs reçoivent une assistante sociale en présence de notre mère. Elles ne m’en parlent pas. Cara reste avec notre mère et Morgane continue seule avec l’assistante sociale. Ceci explique la réponse du service social à ma demande de 2009 ».
– docteur, j’interromps ma lecture pour préciser que cette information m’a été communiquée bien après par Cara, quand je lui posais une question précise sur un autre point. La mémoire lui est revenue sur cette information importante dont elle ne m’avait pas pensé à me parler du fait de l’emprise de Morgane.
– revenez à votre texte, le temps passe. Les impacts ultérieurs je les verrai quand vous y arriverez.
– voilà : « Le 18 mai 2008 Morgane me téléphone et me demande de m’assoir. Puis elle me qu’elle a eu une belle vie, qu’elle a pu voyager, faire de la moto, avoir beaucoup d’amis. Elle m’annonce un cancer très grave, me raconte en détail le processus de diagnostic. Elle me demande de la remplacer dans la prise en charge de notre mère. A partir de ce moment-là j’ai fait tout l’administratif et suis allé souvent voir notre mère. Dans le mois suivant Morgane me dit que notre mère ne relève pas son courrier régulièrement et ne répond pas aux documents. Cela elle me l’avait caché. Je soutien ma sœur dans son combat contre le cancer avec des appels quotidiens. Elle se fait admirer pour sa façon de faire sa gym, de suivre le régime. J’étais très proche de ma sœur et nous parlions de tout. Elle m’a plusieurs fois dit ça je t’en parle mais je ne le dis pas à Lucas. Elle me racontait ses souffrances lors des séances de chimiothérapie. Elle entrait la première et sortait la dernière. Il arrivait que les infirmières la pique mal »
Je regarde Paul dans les yeux Il comprend mon incitation à commenter :
- en relisant ceci je me suis rendu-compte que Morgane m’avait apitoyé pour pouvoir me manipuler. J’avais été naïf. Maintenant je pense qu'elle a veillé à ce que notre mère ne soit pas suivie de près pour dissimuler sa maladie. Il y avait des indices et j'ai appris au fil des événements beaucoup de choses que Cara n'avait jamais cru bon de me révéler comme ce qui suit. Morgane a dit que ‘’classer notre mère en Gir2’’ était dégradant pour elle. Il me semble qu'en réalité, elle se moquait de ce que pensait sa mère, c'est elle qui se sentait dégradée par la maladie de sa mère. Une mère sénile c'était dans son esprit pas bon pour l’image de jolie jeune femme, cultivée intelligente qu’elle voulait donner. Elle m'avait dit avant l'examen que le médecin traitant de notre mère avait utilisé le mot Alzheimer et que c'était inadmissible. Je ne voulais pas voir la personnalité de Morgane et pourtant maintenant en comparant nos souvenirs à moi et à Cara et en lisant les nombreux documents des procédures que j'ai perdues, je suis certain que Morgane a toujours été très imbue de sa personne.
- Nous sommes ici pour parler de vous. Est-ce que cela vous a fait bien de remettre à leur place ces événements ?
- Oui c'est un peu comme si je regardais un film quand je raconte ma vision du passé. Je regarde de loin, ressens des émotions, comme du dégoût, des regrets mais je culpabilise moins. Ces tristes faits sont dans un passé sur lequel il est impossible de revenir. Ils sont archivés dans le papier, ils n'ont plus besoin d'encombrer ma mémoire vive.
- Vous progressez bien, la prochaine fois mettez moi un extrait plus grand de vos notes. Nous allons continuer ainsi jusqu'à ce que vous retrouviez un sommeil paisible. Si nous reparlions un peu des relations dans votre famille pendant votre enfance. Vos difficultés relationnelles avec votre sœur et vos comportements doivent probablement y trouver leur source. Vous m’avez déjà raconté un souvenir qui a fortement influencé votre personnalité. D’autres éléments pourraient expliquer les problèmes vous devrez m’en dire plus. Vous m’ avez raconté assez de votre historique pour aujourd’hui. Pouvez-vous venir vendredi prochain à 19h.
– bien sûr, vous voir est une priorité pour moi, alors je note dans mon agenda à la date du 9 février 2013, docteur Lamotte à 19h. Au revoir docteur.
Il part, je suis assez satisfait de son comportement car il suit mes consignes. Son histoire ressemble à un roman. Je ne sais pas s’il a vraiment vécu tout cela où s’il l’a seulement imaginé. Il est actif dans son processus de soin. Comme ce type de patient n’est pas courant, je peux sacrifier mes soirées du vendredi. Paul va probablement déborder, les séances seront longues et nombreuses mais intéressantes si je les vis comme une expérience de traitement.